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Un samedi matin d’octobre, le temps est au crachin. L’humidité et la fraicheur ambiante nous rappellent que l’automne est là. Nous nous rendons au Jardin Pédagogique, rue Carnot, rencontrer les gestionnaires du site de compostage : Sébastien, Isabelle, les deux permanents du jour et Thomas, le coordinateur.

« Bonjour à vous, pouvez-vous nous expliquer où on est ? Et comment fonctionne ce lieu ?»

Thomas : Nous sommes ici sur le site de compost collectif de La Madeleine au jardin Pédagogique qui est ouvert au public pour ces créneaux de compostage le mercredi de 19h à 20h et le samedi de 10h30 à 11h30. On va fêter le premier anniversaire du compost cette année puisque l’ouverture a eu lieu en octobre 2019. Il y a bien sûr eu une interruption pendant le confinement mais au final on vient de faire un « cycle complet » sur 10 mois.

Concrètement, les gens qui sont inscrits sur la liste arrivent avec leurs déchets dans des seaux qui leur ont été distribués préalablement, ils sont pesés puis déposés dans un bac spécifique : le premier du cycle. Dans celui-ci on peut mettre à peu près tous les déchets organiques d’origine végétale. On exclut tout ce qui est animal carné, laitage, fromages mais tout le végétal peut se recycler facilement pour créer une forme de terreau qu’on nomme « compost ». L’intérêt est double : ça permet à la fois de réduire le volume de déchets dans les poubelles, ce qui peut intéresser fortement les collectivités, et accessoirement ça créée un produit de très bonne qualité pour enrichir les sols. Cela reconstitue en accéléré (1 an) ce que la nature met 2 ou 3 ans à réaliser. C’est un peu le même système que quand des feuilles mortes tombent des arbres en fait, c’est ce qu’on  reproduit ici. Il y a donc différents bacs dédiés à différents stades de maturation du compost. Une fois que les premiers bacs ont réalisé leur cycle nous transvasons la matière d’un bac à l’autre jusqu’au dernier qui est alors prêt pour être redistribué.

Aujourd’hui, nous avons 2t de déchets déposés par an ce qui est assez peu. A ceci, on ajoute de la matière sèche des feuilles, ce qui donne environ un poids total de 3t.

C’est peut-être le moment de démonter des légendes urbaines ? Est-ce que ça attire des rongeurs ? Est-ce que ça sent mauvais ?

Les nuisances sont beaucoup plus réduites que ce que je pensais ! Pour les odeurs, c’est assez faux ! Il faut que le compost soit bien géré et que la composition soit bonne. Si les proportions de ce qu’on met dedans sont respectées, les moucherons seront découragés et cela dégagera peu d’odeurs. Pour la question des souris et rats, on manque de recul et ici le parc est très fréquenté par des chats donc on n’a pas de problèmes de ce côté-là !

Dans un local fermé, ça pourrait malgré tout être compliqué car le compost dégage du gaz, quelque part ça pollue mais ça pollue pour la bonne cause ! Cela pollue toujours moins que de gérer les déchets via des ramassages en camion etc…  Ici on accélère le processus, sur place !

Le cadre est sympa, on peut échanger avec nos voisins qu’on ne connait pas tous forcément, c’est mon petit bol d’air dans la semaine

Pour les déposants y-a-t-il une formation spécifique ? Est-ce que c’est compliqué ? Faut-il être initié ?

Ce n’est pas simple mais il y a pas de formation non plus ! On tâtonne tous, on a régulièrement des hésitations mais tout cela est chapeauté par une experte de l’association Des Jardins et des Hommes, mandatée par la MEL, le Maître Composteur à qui on peut poser des questions en dernier recours. Nous, on a reçu une formation très très brève (Thomas) organisée par la MEL et dispensée par Urban’Eco qui a une expertise dans ce domaine. Ils ont formé des référents compost un peu partout mais ils sont également disponibles lorsqu’il y a des questions, des hésitations. Les déposants ne sont pas formés, de ce fait on vérifie à chaque fois. La plupart d’entre eux sont des habitués maintenant et maitrisent la nature des dépôts mais il y a encore des petites questions auxquelles on essaye de répondre

Aujourd’hui, vous assurez les permanences et êtes gestionnaires du site de compostage, qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager dans cette aventure ? Ça a été quoi le déclic ?

Sébastien : J’ai démarré à l’époque comme déposant pour réduire mes déchets. Quand on ne mange pas beaucoup de viande, on a une tonne de déchets verts ! Quand on est en appart ou que l’on a un petit jardin, ce n’est pas facile de les gérer avec des lombri-composteurs ou des petits composts. Donc moi, j’étais très content de découvrir cette initiative et puis j’avais envie de donner un peu de mon temps pour ce type d’activité. Le cadre est sympa, on peut échanger avec nos voisins qu’on ne connait pas tous forcément, c’est mon petit bol d’air dans la semaine, mon moment de verdure. II y a aussi des enfants qui passent régulièrement. C’est plutôt agréable comme moment. 1 ou 2h par semaine, ce n’est pas très contraignant même si on se rend compte que c’est difficile de motiver des gens pour tenir des permanences. Mais moi, c’est plutôt mon petit bonheur du samedi matin.

Isabelle : Cela fait un an que je dépose, j’avais fait une demande d’inscription un an auparavant à la mairie et avais été placée sur liste d’attente… j’ai appris petit à petit, grâce aux bénévoles de La Petite Madeleine qui ont assuré les permanences la première année et grâce à la documentation de la MEL. Les permanences réalisées par l’association « La Petite Madeleine » ont été très pédagogiques et son investissement remarquable. L’association a dû arrêter de gérer ce site au bout d’un an. Thomas, qui n’est pourtant pas déposant ici et qui a repris la coordination, nous a envoyé un mail cet été après le confinement pour nous proposer de rouvrir le site et c’est comme ça que je me suis engagée dans quelques permanences. C’est chouette, ça fait du bien, des initiatives respectueuses de l’environnement à La Madeleine. C’est assez précieux. Ça manque! 

Ce lieu de dépôt a également un rôle social beaucoup plus important que ce qu’on soupçonnait.

Thomas : Pour ma part, il y a une grosse part de hasard, je suis venu faire une permanence car quelqu’un n’était pas disponible ce jour-là puis 2 mois plus tard « La petite madeleine » a cessé la gestion et demandé qui pouvait reprendre le flambeau. C’est tombé à un moment où j’avais envie de m’engager, je m’y suis collé avec un petit sentiment d’usurpation car je suis un de ceux qui s’y connaissaient le moins ! Je suis arrivé sur le compost comme je serais arrivé sur un atelier de réparation de vélo. Je ne prétends à aucune expertise dans ce domaine-là ! Bon c’est vrai, il se trouve que j’avais suivi la formation de la MEL pour me permettre de déposer ici mais pour ma culture personnelle et alimenter mon propre compost aussi. J’étais disponible donc je me suis lancé.

Après, plus sérieusement, comme l’ont dit Sébastien et Isabelle, il y a aussi le fait que c’est un moment très sympa. Il ne faut pas sous-estimer le côté social. C’est un moment de rencontre, ça fait du bien à énormément de gens, on peut le ressentir. Il y a des gens qui se sentent valorisés de venir, pour qui c’est un moment important de leur semaine. Il y a aussi des gens qui passent ici et qui sont intrigués par le portail ouvert alors qu’il est habituellement fermé. Ça leur donne envie de rentrer, de jeter un œil et qui sont très heureux de pouvoir visiter. Ça nous permet de leur raconter ce qu’on fait ici. Finalement, ce lieu de dépôt a également un rôle social beaucoup plus important que ce qu’on soupçonnait.

Comme Isabelle, je tenais à tirer mon chapeau à La petite madeleine qui a initié la gestion du compost, monté une liste d’attente de déposants, et a assuré le lancement les premiers mois. Sans eux on n’existerait pas !

On rappelle que pour déposer, il y a une liste d’attente, c’est un succès. Qu’est-ce qui explique ce succès selon vous ? Est-ce que vous sentez une évolution ces derniers mois ?

Thomas : Il y a clairement une tendance de fond chez les gens qui est de chercher à minimiser ses déchets et de façon générale participer à un moment écologique. Ça séduit. Ce n’est pas extrêmement contraignant pour les gens en appartement qui n’ont pas de lien direct avec l’agriculture ou la nature. C’est un moyen relativement facile de mettre la main à la pâte ! D’autant qu’ils ne profitent même pas du produit fini ! On a plutôt le sentiment que ça permet aux personnes de s’inscrire dans un cycle global.

Isabelle : Et le sentiment de participer à une aventure collective !

Thomas : Qu’on a envie de faire vivre ! L’initiative a un peu été stoppée par le coronavirus, même si pendant ce second confinement les permanences restent ouvertes, mais on a à cœur de faire vivre le lieu, de proposer des animations…

Sébastien : 3,2 KG ! Au fait, on peut mettre l’artichaut ?

Est-ce qu’il y a un profil type du composteur ?

On retrouve une assez forte majorité de jeunes parents et de retraités, entre deux, on a un creux. Il me semble qu’il y a beaucoup d’enfants qui viennent avec les déposants ! On a remarqué un truc rigolo, c’est que souvent, ce sont les femmes du foyer qui organisent l’inscription et puis les hommes qui viennent déposer !

La saisonnalité ça a un impact ? Cela fonctionne mieux l’été que l’hiver ?

L’an dernier était plutôt une saison d’hiver. Avant le COVID, les volumes déposés étaient assez conséquents ! Sinon, pendant les périodes de vacances scolaire il y a une hausse des dépôts qu’on ne sait pas expliquer !

Des déposants passent et se présentent saluant le groupe, sans pour autant se reconnaitre

Thomas : on devrait faire un trombinoscope non ? On se voit toutes les semaines et on se retrouve toujours obligés de (re) demander qui est qui !

Y-a-t-il parmi vous ou vos adhérents des personnes qui ont une démarche plus élargie dans le zéro déchet ? A titre personnel ou avec d’autres ? Est-ce que les adhérents vous en parlent, vous incitent à s’investir par ailleurs ?

Thomas :  Je me suis souvent posé la question ! ça serait intéressant de savoir justement si pour les gens c’est juste une parenthèse de 15 min dans leur semaine ou s’ils s’investissent par ailleurs dans d’autres activités dites écologiques, on en parle assez peu. Quand les gens viennent, on en fait un moment agréable, pas moralisateur, sans partir dans des débats sur ce qu’on pourrait faire « en plus » pour la planète ou autre.

Je pense qu’on aura gagné quand les ados se diront « c’est cool le compost »

Est-ce que vous travaillez avec des professionnels pour accueillir leurs déchets ? Ou des scolaires sur des démarches de sensibilisation, ou pédagogiques ? Est-ce que c’est quelque chose que vous ambitionnez ?

Ça nous intéresserait tous je pense, ici on est dans une démarche un peu captive car on ne peut pas augmenter le nombre de participants. Donc ici on ne peut pas, il faudrait ouvrir d’autres composts ! ça serait intéressant mais ça dépasse un peu le cadre de notre collectif pour l’instant. Mais ça serait super de pouvoir sensibiliser les enfants à cette pratique !

Pour les restaurateurs ou la cantine, la capacité du jardin pédagogique ne le permet pas. Notre liste de participants en attente est déjà trop importante ! Par ailleurs, le compostage, c’est quand même une cuisine assez fine qui peut se gâcher assez rapidement donc une gestion « industrielle » pourrait nuire à la qualité du compost. C’est aussi la raison pour laquelle je ne suis pas convaincu par une forme d’obligation de composter à grande échelle, ça amènerait les gens à déposer un peu tout et n’importe quoi. Je pense plutôt qu’il faut poursuivre sur la voie du volontariat.

Vous disiez que vous avez envie de faire vivre le lieu, de l’animer, de poursuivre ce « lien social » que vous créez. Malgré les conditions sanitaires, est-ce que vous imaginez déjà des choses qui pourraient se passer ici ?

Déjà améliorer l’accueil actuel avec un auvent sur le compost, ça serait super ou avoir une lumière pour les périodes où les jours raccourcissent ! Sinon, en effet, on aimerait pouvoir créer ici des évènements. C’est dommage, il y avait la fête des parcs qui était prévue mais qui a du être annulée avec le COVID. On devait organiser une journée d’échange de graines, de rempotage de plantes en se servant du compost et des ateliers de compostage en observant les différents stades du compost ! Espérons que ce ne soit que partie remise.

Un déposant passe sur le point de repartir…

Thomas : Vous avez cueilli des fruits ? N’hésitez pas, il y a des fruits rouges ici !

Sébastien : c’est à dire que là, il n’y a plus grand-chose…

Thomas : C’est vrai les fruits commencent à se raréfier ! C’est un des aspects sympas du lieu, il y a plusieurs pieds de fruits rouges, ce qui donne aux enfants l’envie de revenir avec leurs parents déposer leurs déchets comme ça, en même temps, ils peuvent déguster les framboises !

C’est un des aspects sympas du lieu, il y a plusieurs pieds de fruits rouges

Vous nous disiez qu’il était question de l’ouverture d’un deuxième site de compostage à La Madeleine ? Pour vous, ça serait quoi l’idéal sur le sujet du compostage à La Madeleine ?

Thomas : Il serait peut-être intéressant justement de multiplier les sites ! Ici, on a une majorité de gens du quartier, et on a une liste d’attente d’une cinquantaine de familles. Je pense qu’il y aurait la place pour beaucoup plus de sites de compostage !

Isabelle : S’il devait y avoir plus de sites il faudrait aussi bien évidemment avoir davantage de pédagogie, une forme d’éducation au compost pour que ça devienne une hygiène de vie !

Thomas : Je pense qu’on aura gagné quand ce seront les ados qui se diront « c’est cool le compost ! », qu’ils en parlent avec envie ! Que ce ne soit plus un truc d’initiés, bobos urbains mais que ça rentre dans les mœurs de toutes les familles, quel que soit le milieu social et la génération !

Vous pouvez contacter le collectif compost via leur groupe facebook

Permanences les Mercredis de 19h à 20h / Samedis de 10h30 à 11h30

Jardin Pédagogique – 15 rue Carnot – La Madeleine

Propos recueillis par Romain Bayart / Photos Julien Bonleu